Vançais: profanation de l'église en 1717

Publié le par le Romain

 

                                                                                    Escrit au sieur Guesbin      

                                                                                                   Le 5 aoust 1717   

 

                                                                          Jacques   Chopin             }     Paroisse

                                                                          Pierre Bizet                      }     de Vançay

                                                                          Pierre Bernard                }      près de Rom     

 

Je vous demande votre agrément Monsieur pour faire sçavoir à Monsieur le duc d’Antin, les profanations insolentes et pleines de mépris, que certains religionaires de la paroisse de  Vancey  près de Rom, firent il y a quelque tems, pour se moquer de nos mystères.

Entrant dans l’églize dudit Vancey lors de la célébration d’un mariage après lequel on commençoit la messe, ces profanateurs pour se moquer de l’église catholique, entrèrent l’un en portant un grand pain piqué par un pieµ, et il s’apelle Jaques Choppin. Un autre apellé Pierre Biset entra en habit de cuisinier, ceint d’une serviette et le chapeau sur la teste, un autre portoit un broc de vin et vouloit entrer de même sans que le curé le fit sortir ; enfin, un autre apellé Pierre Bernard, d’abord que la bénédiction nuptiale fut donnée, commence  à danser et à crier Hou ! Hou !comme dans les danses et débauches que font les paisans. Cette nouvelle profanation est une suite d’une autre plus impie qui se fit l’année passée qui est que pendant la messe de paroisse dans la même églize de Vancey, trois ou quatre religionaires  aportèrent du pain, et du vin dans une tasse, et au bas de l’églize contrefaisant le prêtre lorsqu’il consacre et lève la Sainte Hostie, et contrefaisant de même le prestre lorsqu’il donne la Sainte communion crioint  à pleine teste dans l’églize leurs Hou ! Hou ! Hou !

Si on ne fait pas quelque punition de ces impiétez  ils continueront à en faire d’autres, et les prêtres ne pourront pas être en seureté  ny  authorité pour dire la Sainte messe. Je vous suplie, monsieur, de vouloir bien que j’en écrive au conseil du dedans, et lorsque l’affaire vous sera renvoyée, je suis persuadé de votre zèle à punir une si horrible profanation. J’ay l’honneur d’estre avec baucoup  de respect, monsieur votre très humble et très obeyssant serviteur.

  

                                                         Jean Claude Evêque de Poitiers

                                                   Dissay ce 4 aoust 1717        

 

 

 

 

Au 18 eme  siècle, « un évêque doit juger, interpréter, consacrer, ordonner, offrir, baptiser et confirmer ».

En matière de « profanation », c’est-à-dire d’irrespect à l’égard des « choses saintes et sacrées », sa vigilance doit être extrême notamment quand les pratiques irrévérencieuses des fidèles peuvent avoir pour origine leur statut de « nouveaux convertis »ou le maintien de traditions festives prohibées.

 Nommé en 1702 au siège épiscopal de Poitiers, monseigneur Jean Claude de La Poype de Vertrieu (1655-1732) doit affronter, entre autres, les problèmes liés aux multiples formes, souterraines et pour cela connues, d’une résistance protestante qui perdure plus de trente ans après la révocation de l’édit de Nantes.

Représentant de la double puissance, celle de l’église catholique et de la monarchie, ce prélat zélé compte sur l’aide de l’intendant pour faire punir les paroissiens de Vançais qui ont perturbé deux cérémonies religieuses en un an : un mariage et une messe dominicale.

Son souci pastoral est celui d’un homme, par vocation, peu tolérant à l’égard de tous les divertissements et qui est déjà l’auteur d’un mandement « sur la sainte et pieuse observance des dimanches et fêtes, contre les profanations que les mauvais chrétiens en font ordinairement » : travail indu, fréquentation des cabarets, jeux, danses et « promenades suspectes » (23 mars 1707), mandement précédé d’un texte analogue du 15 avril 1704 contre les rires et autres dissipations pendant la messe [Paulze, 1889, p.244-258].

La lettre du 4 aout 1717, envoyée de Dissay, la résidence préférée de Mg de La Poype, s’inscrit donc dans le contexte d’une volonté de christianisation en profondeur des esprits par la sanctification de tous les temps de loisirs [Pellegrin, 1982, p. 244-258].

Proche en cela des réformés les plus fervents, l’évêque poitevin fustige plus particulièrement ici ce qu’il considère comme des parodies de communion sous forme d’une consommation de pain et de vin (« les deux espèces », propres au protestantisme ?) dans l’enceinte même de l’église.

L’offense est aggravée par d’autres détails qu’il se plait à préciser : la tète non découverte d’un protagoniste, ses habits de travail, les cris poussés, les pas de dance, la répétition des faits.

Ce sont là autant de « profanations » qui ont, à ses yeux, un caractère anticatholique, même si elles rappellent et les divertissements de noces que les jeunes gens offrent traditionnellement aux nouveaux mariés et certains jeux de carnaval.

Elles peuvent aussi n’être que le résultat d’un excès de vin. Parce que cette zone du Moyen Poitou fut longtemps majoritairement protestante, les perturbateurs n’en sont pas moins immédiatement taxés de « religionnaire » par leur curé(le responsable probable de la plainte initiale) et par l’ensemble des autorités.  

Par-delà son contenu religieux, la lettre de l’évêque révèle aussi la complexité d’une administration royale de plus en plus centralisée mais dont les attributions restent multiples : elles sont, pour un intendant, d’ordre fiscal, politique, judiciaire, religieux, etc.

Le destinataire est le principal représentant du roi dans la province ; il a pour nom Jean Baptiste des Gallois de la Tour et reste à la tète de la généralité de Poitiers de 1716 à 1728 [Barbier, 1884].

Des traces de son activité subsistent aux archives départementales en série C, série qui renferme des documents liés à l’administration provinciale d’Ancien Régime et notamment à tout ce qui se rapporte aux « nouveaux convertis ».

Pleine de déférence à son égard, la lettre reçue par l’intendant n’est cependant que le préalable à un autre courrier que l’évêque  destine à un personnage encore plus considérable, le duc d’Antin,  Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin, fils légitime du marquis de Montespan et de Françoise-Athénais de Rochechouart, et est alors président du conseil du dedans et donc chargé de la surveillance des nouveaux convertis.

On ne sait si ce second courrier fut envoyé, mais, au vu de l’en-tête du document, il semble que l’intendant ait d’abord fait écrire à son subordonné, installé à Lusignan, le subdélégué René  Guesbin, pour obtenir des informations sur les trois perturbateurs dénoncés par l’évêque ; Jacques Chopin, Pierre Bizet et Pierre Bernard. Preuve peut-être  d’une hésitation quant à la gravité réelle des faits.

Pour sa part, l’évêque n’a pas de doute sur l’appartenance religieuse et la culpabilité des « profanateurs ». Et pour mieux convaincre  son correspondant, il sait user d’un style fluide et d’un vocabulaire vigoureux ou se reconnaissent les talents rhétoriques d’un homme de foi rompu aux règles de l’art épistolaire.

                                                 YC et NPP

 

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